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Publié par Pour une vraie gauche à Lannion

Editorial de la lettre du Neurologue

https://www.edimark.fr/lettre-neurologue

Apport de la presse à la connaissance de l’épidémie de Covid-19 en France
Contribution of the press to the knowledge of the Covid-19 epidemic in France


Pr Éric Caumes
Service des maladies infectieuses
et tropicales, hôpital de la Pitié-Salpêtrière,
Sorbonne Université, Paris.


La tentation est grande de fustiger les médias, et notamment les chaînes d’information en continu, pour leur couverture de l’épidémie de Covid-19, tendance affirmations erronées qui font le buzz (pas de deuxième vague), combats de coqs (gaulois), et covidologie de comptoir. Pourtant, j’ai plutôt envie
de retenir leur contribution à une meilleure connaissance du développement de l’épidémie de Covid-19 en France.

En la matière, les journalistes de la presse dite populaire ont fait un excellent travail. Et il est bien d’en parler dans une revue comme La Lettre du Neurologue, entre média et science. En attendant que la science puisse confirmer, un jour, peut-être, l’histoire vraie de cette arrivée. Mais il ne faut pas se faire
trop d’illusions, on touche à des sujets sensibles…


L’arrivée en Alsace par Colmar


Pour le Grand Est, on a la quasi-certitude que le virus était là dès novembre 2019, soit bien avant le grand rassemblement évangélique de la mi-février, qui n’a fait qu’amplifier l’épidémie silencieuse. C’est le journal Marianne (29 mai-4 juin 2020) qui l’a révélé en interrogeant le chef du service de radiologie de l’hôpital Albert-Schweitzer, à Colmar, et en interrogeant les médecins généralistes de la région. Plusieurs casd’infections respiratoires inexpliquées avaient été identifiés parmi les patients
de l’hôpital Albert-Schweitzer à la fin 2019. En reprenant les scanners thoraciques (les images sont assez caractéristiques du Covid), il retrouve 2 cas en novembre 2019, 12 cas en décembre, 16 cas en janvier 2020, et ainsi de suite jusqu’en avril.

Cette réalité est corroborée par les médecins généralistes de Colmar interrogés par la journaliste.
Rétrospectivement, ils avaient trouvé la grippe quand même bien bizarre l’hiver dernier.

Pourquoi Colmar ? Tout simplement parce que c’est une ville très visitée par les touristes chinois. Qui l’eût cru ? On pourrait croire que Colmar est populaire auprès d’eux pour la beauté de la ville ou son célèbre triptyque, le retable d’Issenheim, au musée Unterlinden, mais pas du tout. En fait, c’est pour un restaurant typiquement alsacien, le Bistrot des Lavandières, dans lequel a été tournée en 2018 une très populaire série télévisée (200 millions de téléspectateurs, 3 milliards de vues sur Internet), Chinese Restaurant, à mi-chemin entre Loft Story et Top Chef, selon Marianne.


Et, aussi incroyable que cela puisse paraître, c’est l’ancien consul de France à Wuhan, Olivier Guyonvarch, qui a soufflé le nom de Colmar aux organisateurs de l’émission. On le voit même déguster des plats chinois, typiques de la région de Wuhan, cuisinés au Bistrot des Lavandières, lors d’une émission le 7 septembre 2018.
Voilà qui ne manque pas de sel quand on sait que Wuhan est le point de départ de la pandémie, et l’Alsace le premier foyer épidémique d’importance en France.


Mais cette histoire de restaurant a bel et bien fait exploser le tourisme chinois dans la belle ville alsacienne, qui est passée de quelques rares touristes chinois avant 2018 à 13 000 nuitées en 2019. Le consulat général de France à Wuhan indique au quotidien L’Alsace, en octobre 2018, que “le service des visas de Wuhan constate que 3 agences de voyages déposent chaque semaine en moyenne une centaine de demandes de visas pour des groupes allant spécifiquement visiter Colmar”.

À raison d’au moins 100 visiteurs chinois, originaires de Wuhan, par semaine, il ne serait pas surprenant qu’un porteur de virus se soit glissé parmi eux. Et on sait que le virus a commencé à circuler à Wuhan dès novembre, si ce n’est à l’été 2019.

 

L’arrivée en Île-de-France par Creil


Quant à la région parisienne, l’introduction du virus est toujours l’objet de discussions dans les chaumières épidémiologiques. On en retrouvera peut-être un jour l’origine, car l’épidémiologie dispose de fins limiers, et la virologie possède d’excellents outils moléculaires pour remonter très loin vers le fameux patient zéro. Il peut s’agir d’un touriste chinois (Roissy-Charles-de-Gaulle est une plateforme aéroportuaire), de personnes travaillant à l’aéroport ou pour une compagnie aérienne (un grand nombre résident dans l’Oise). On a aussi parlé d’une chorale.


Et beaucoup ont parlé de la base militaire de Creil, dans laquelle étaient logés des membres de la mission ayant assuré le rapatriement des Français de Wuhan vers Carry-le-Rouet et d’autres lieux de quarantaines début février. Mais je ne crois pas à cette hypothèse. Il était déjà bien tard, et on a retrouvé un cas grave certain en décembre 2019 dans le Nord de l’Île-de-France. Si c’est bien passé par la base militaire de Creil, je ne serais pas surpris que cela remonte plutôt au retour des athlètes de la septième édition des Jeux mondiaux militaires, fin octobre 2019.


Ce sont les journalistes du Monde (12 mai 2020) qui ont levé ce lièvre qui n’a pas du tout été repris, ou très peu.
Les Jeux mondiaux militaires se sont tenus à Wuhan, du 18 au 27 octobre, et il y a (il y avait) des témoignages de sportifs, en France, dans plusieurs disciplines olympiques, à propos d’une drôle de grippe au retour de ces jeux. Élodie Clouvel, une pentathlète connue, est tombée malade en France au retour de ces compétitions.
Elle garde maintenant le silence, et son interview a disparu du site de Télévision Loire 7, où elle a figuré un temps. Étrangement, les sportifs français ayant participé aux jeux de Wuhan semblent avoir reçu des consignes pour ne plus s’exprimer, et renvoyer au service de communication des armées. L’information quant aux Jeux mondiaux militaires à Wuhan serait-elle contrôlée ? Or, certains de ces sportifs français,
tous militaires, sont basés à… Creil, épicentre supposé de l’épidémie en Île-de-France.


L’un d’entre eux, Alexis Bodiot, de l’équipe de France de cyclisme, a même déclaré au Monde : “C’est dans mes bureaux qu’il y a eu le plus de cas”, mais il ne dit pas quand cela a commencé exactement.

Plus encore, il semble en être de même pour les sportifs d’autres nations.
Selon Le Monde, le même problème d’infections respiratoires inexpliquées au retour, voire au cours des jeux de Wuhan, a été observé chez les athlètes italiens et suédois.
En Italie, c’est quasiment toute l’équipe nationale qui est tombée malade. En Suède, plusieurs athlètes ont été fiévreux, et seraient restés fatigués et incapables de s’entraîner pendant plusieurs semaines au retour de Wuhan. Tout cela ressemble quand même beaucoup au Covid-19, d’autant que tous ces athlètes devaient être vaccinés contre la grippe. De son côté, le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères déclare le 12 mars que cela “pourrait être l’armée américaine qui a apporté l’épidémie à Wuhan” à l’occasion de ces jeux. Décidément, il y a une zone d’ombre à éclaircir dans ces jeux.

Le cluster de l’Assemblée nationale


Dans une épidémie, l’arrivée du premier cas est une chose, la diffusion de l’infection
en est une autre. On a beaucoup accusé le deuxième tour des élections municipales.

Je crois plutôt à la responsabilité de la campagne électorale qui l’a précédé. Il est probable, même si aucune enquête sérieuse ne permet de l’affirmer, que les maires, aux côtés des députés et des représentants de leurs partis, ont contribué à amplifier l’épidémie au cours de leur campagne électorale. Et plusieurs faits révélés par les journalistes ou les protagonistes eux-mêmes en attestent. Cela a été largement couvert par la presse, du Monde à Mediapart en passant par L’Express.


J’en fais la synthèse ci-dessous.
Dès le 16 mars, lendemain du premier tour des municipales, on apprend que l’Assemblée nationale compte 18 députés Covid+. Leur contamination ne pouvait pas dater de la veille.
Le premier cas remonte au 5 mars, jour où un député alsacien est hospitalisé en réanimation pour Covid-19. Il n’avait pas été repéré plus tôt, mais on en était au début de l’épidémie. À la suite de l’enquête de tracing, 26 personnes fréquentant le palais Bourbon sont dépistées Covid+. Outre les 18 députés, on trouve un des serveurs de la buvette du palais Bourbon, haut lieu de rencontre entre élus. Le lendemain, tous les députés ayant fréquenté la buvette sont appelés à se mettre en quarantaine, et au télétravail. Bientôt, ce sera au tour de tous les députés contacts de ceux dépistés Covid+. La  commission des Affaires culturelles est particulièrement affectée, avec au moins 6 de ses membres atteints. La salle de la commission est au sous-sol, non aérée, et elle peut accueillir entre 40 et 60 députés.
Plusieurs figures de l’Assemblée nationale sont touchées : le président du groupe communiste,
André Chassaigne ; le président du parti Les Républicains, Christian Jacob ; le ministre de la Culture, Franck Riester, etc. Je ne brise pas le secret médical, c’est de notoriété publique.

La responsabilité de la campagne électorale


Une autre preuve du rôle potentiel de la campagne électorale pour les élections municipales dans l’amplification de l’épidémie est le nombre élevé de personnes qui pouvaient être malades le jour même du vote parmi les assesseurs de certains bureaux de vote dans les régions touchées. Une enquête téléphonique a été réalisée par les journalistes de Cash Investigation, pour France 2. Elle a consisté à interroger les assesseurs des bureaux de vote de Saint-Ouen-sur-Seine, ville de Seine-
Saint-Denis, un département particulièrement touché en Île-de-France.

Elle a montré un taux d’assesseurs malades qui pouvait avoisiner les 50 % dans certains bureaux de vote. S’il y avait tant d’assesseurs malades ce jour-là dans les bureaux de vote, ils s’étaient contaminés pendant la campagne électorale. Et le grand nombre de personnes déjà infectées au moment de cette journée électorale explique que beaucoup de personnes ayant participé au dépouillement des bulletins de vote soient tombées malades au cours de la semaine suivant le vote.


Agnès Buzyn, dans son interview devenue fameuse dans Le Monde, après avoir quitté le ministère de la Santé, et, alors qu’elle était en lice pour les élections municipales à Paris,fera un aveu, à mon sens important sur le plan épidémiologique : elle dit avoir eu “peur de serrer des mains”. Elle savait le risque qu’elle prenait en faisant campagne. Il n’y a rien de surprenant à ça. Quoi de mieux qu’une campagne électorale où l’on passe son temps dans des espaces clos, le plus souvent fenêtres fermées (nous sommes en février-mars), à serrer les mains, faire des bises et des discours à haute voix pour se contaminer ?

Nous avons probablement payé cher, en matière épidémique, le maintien du premier tour des élections municipales. Un député de Seine-Saint-Denis sera très clair dans Le Monde (21 mars 2020) : “On a été prudents mais on a continué à faire des réunions. […] C’est une hécatombe chez les militants, il y a des cas qui nous remontent de partout.
Ça ne peut pas être le fruit du hasard.” Effectivement, ce n’est probablement pas le fruit du hasard. L’épidémie silencieuse était en marche dans le Nord de l’Île-de-France et le Grand Est ; la campagne électorale l’a probablement révélée aux yeux de tous si ce n’est amplifiée. Et ce sont des journalistes qui nous l’ont appris.

E. Caumes déclare ne pas avoir
de liens d’intérêts en relation
avec cet article

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